La paix était promise au monde, on recommençait
à rire. Puisqu’il faut bien que le rire surmonte la souffrance, le mieux est
encore de rire de soi.
Sic transit…
La guerre avait ruiné le pays. Un pays
où les gens n’ont rien peut-il être ruiné ? quelle guerre c’était ?
tout un chacun peut répondre à la première question et pour la seconde faire
son choix. Il y a de quoi. Mais faites vite, il faut que j’avance dans mon
histoire. Dans ce pays du bord de la mer donc, entre Vinti Legni et Roccapina habitait
un pêcheur. Il lui fallait en pêcher des poissons et des langoustes, pour
nourrir sa nombreuse famille. Nombreuse mais très unie. Pendant que le père se
reposait de sa pêche les garçons montaient dans les villages pour vendre le
poisson ou trouvaient à s’employer ainsi
que leurs soeurs et avec les trois planches du jardinet la famille survivait.
Comme on s’en doute, d’argent, point. On troquait. Bref, ce petit monde était
dans une situation économique -si ce terme savant convient à des situations tenant
à un demi-sac d’orge- précaire. Heureusement le couple était très uni. Et la
femme qui adorait son mari lui disait souvent « tu verras, quand tu
mourras, je t’habillerai comme il faut. Comme un seigneur, pour te présenter à
la porte du paradis en grande tenue ». Le mari trouvait qu’il y avait bien
d’autres façons de manifester affection, et
puis c’était de plus en plus souvent. Alors il tenait bon. Des soucis de
ce genre, il n’en voulait pas, pour sa femme. Celle là remettait ça toutes les
nuits, et tous les jours, toute la journée, par mauvais temps, et l’été pendant
la sieste, une fois le mari rentré au port « tu verras, quand tu mourras,
je t’habillerai comme il faut. Comme un seigneur, pour te présenter à la porte
du paradis en grande tenue ». Au fil du temps c’était devenu une antienne
un peu fatigante. Mais le mari ne répondait jamais, ou alors par un ‘eehhh’
censé clore ces effusions si peu prometteuses et interroger muettement sur la
source d’argent frais pour fournir à ces dépenses pharaoniques. Choses que la
femme n’entendait pas qui répétait et répétait « tu verras, quand tu mourras,
je t’habillerai comme il faut. Comme un seigneur, pour te présenter à la porte
du paradis en grande tenue ». Et un jourle pêcheur tomba malade. On le
soigna comme on pouvait soigner dans ces villages. Ainsi son état empira et il
finit, à force de « tu verras, quand tu mourras, je t’habillerai comme il
faut. Comme un seigneur, pour te présenter à la porte du paradis en grande
tenue », par mourir, ce qui fut source de grands tourments pour la veuve
éplorée qui se voyait dans l’impossibilité de faire les frais d’un enterrement
de gala. Alors on fit cercle de famille. Ce fut bien plus long que ne
l’exigeaient les circonstances, mais on avait le temps pour ça. Et bien sûr ça
tourna très court. Il aurait fallu acheter du tissu et passer commande à la
couturière, mais le peu qu’il y avait dans la bourse était déjà dépensé. Il y
avait bien le costume de fête du père, très usagé, mais l’aîné avait pour
projet de s’installer à Porto Vecchio alors il en avait besoin. Le costume du
fils aîné, usé à la corde, allait comme un gant au cadet, lequel rêvait de changer
de guenilles. Le troisième rentrait tout juste de la guerre et avait conservé
casaque et pantalon de l’intendance. On aurait bien ‘mobilisé’ le pauvre mort,
mais le treillis de grosse toile était propre à servir à toutes tâches
paysannes. Toutes solutions ayant été envisagées, et par force rejetées, le pauvre mort fut habillé, pour sa dernière
promenade dans son village, de ses hardes de pêcheur. De cercueil, personne
n’en avait jamais parlé. Deux rames reliées par un filin composèrent un
brancard tout à fait acceptable et en guise de suaire on étendit sur la
dépouille un bout de filet usé.
Il y avait beaucoup à marcher, de
l’église jusqu’au cimetière, beaucoup. Puis c’était un brave homme avec
beaucoup de parentèle alors il y avait du monde, on marchait à pas mesurés, et
ça durait, ça durait, sous le soleil, dans la poussière et les plaintes de la
famille. Et la femme se lamentait en se griffant le visage et criait à tue-tête
« où t’en vas-tu mon mari… toi si bon homme… si valeureux… où t’en vas-tu…
où me forces tu à t’emmener » -et ça durait et ça durait, vous vous
souvenez qu’il y avait à marcher, sur ce sentier, pour aller de l’église au
cimetière- et la femme, joues lacérées, continuait « où t’en vas-tu mon mari… toi si bon
homme… si vaillant… où t’en vas-tu… où me forces tu à t’emmener », et les
gens s’émouvaient à entendre toutes ces plaintes répercutées par le rocher
d’Aricchia dans tout Pian d’Avretu « où
t’en vas-tu mon mari… toi si bon homme… si vaillant… où t’en vas-tu… où me
forces tu à t’emmener » et ça durait et durait ainsi pendant des quarts
d’heure et durait et durait si bien qu’au moment où les porteurs déposaient la
dépouille sur un banc aux abords de la tombe la bonne femme répétant encore une
fois « où t’en vas-tu mon pauvre Dumè, où t’en vas-tu ? » une voix sépulcrale s’éleva du
pauvre catafalque… une voix profonde et forte, une voix qui dans le silence
assourdissant qu’on peut imaginer gronda
«à la pêche … à la pêche je vais … c’est bien
pour aller à la pêche que tu m’as habillé ce
matin, non… alors je vais à la pêche »
Je ne dirais rien de l’étonnement de
l’assistance, ni de ce qui s’ensuivit
pour les uns et les autres dont certains se sauvaient en courant parmi les
pierres tombales pour échapper à un possible revenant mais crois moi si tu
veux, il est mal vu dans ces lieux de parler de filet de pêche à l’enterrement
d’un pêcheur. Et puis les gens de Pianottoli prétendent que cette histoire a
bien eu lieu, mais à Figari… les gens de Figari disant que non, que c’est à la Munacia…ainsi
de suite, tout en ronds… on ne se prête qu’entre riches, tout un chacun le
sait !
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