mardi 15 septembre 2015

Spaniolu, celui qui venait de mareculanda





si l’on excepte à Aullène quelque ruine de forteresse sur le flanc de Punta Addarata, un escalier ‘stratégique’ dans le Campanagghiu et à Monacia les ruines de la chapelle de santa Monica, les seuls vestiges de la féodalité locale sur les territoires d’Aullène et de Monacia. Gênes, qui ne pouvait tolérer quelque atteinte à sa puissance régalienne, d’origine féodale, avait tout fait pour liquider toute famille désireuse d’installer une seigneurie concurrente. Toutes les ‘grandes’ maisons tentées par l’aventure seront laminées par la Superbe. Ainsi de Giudicellu di Cinarca, de Sinucellu d’Istria et autres postulants. Ah oui ! quand même ! toutes ces tentatives seigneuriales eurent lieu dans le Tra i monti que les stratèges génois désignèrent, pour la distinguer de la région au nord de la chaîne montagneuse centrale, sous l’appellation de Terre des Seigneurs. C’était donc un lieu où Gênes devait porter un effort particulier, sous peine de compromettre sa maîtrise sur l’île. Cette expression si ‘valorisante’ pour les naturels de notre Par delà les Monts est sans doute aucun à rajouter au patrimoine féodal de la Corse. On pourrait ajouter à cette liste l’épopée de la Ghjuvannara, cette secte qui semblerait issue du mouvement cathare et qui a peut être  fourni  l’appellation éponyme du sommet de la Ghiuvanna qui domine Aullène.

Je voudrais apporter une autre dimension au récit qui va suivre. Il est placé à une époque où la terre à grandi subitement, où les gens ont commencé à voyager dans des orientations inexplorées jusque là. D’où pouvait bien venir ce Spaniolu au destin si particulier ? La nouvelle qui suit se déroule dans les années 1570. En ces temps là la terre était, de tradition, commune, tant à la plage qu’à la montagne. De fait Gênes avait confisqué le territoire sur lequel les aullènois faisaient de toute antiquité paître leurs animaux l’hiver et en avaient confié la gestion à Bonifacio. Il semblerait donc qu’il y avait une population de montagne qui envoyait l’hiver troupeaux et bergers sur les crêtes de la Pitrosa et du Casteddu et une population résidante sur le site de la Munacia qui cultivait les parcelles affermées par Bonifacio. Il est difficile de dire quelles étaient les relations entre ces deux populations. Je prends le pari qu’elles n’étaient pas tout à fait étrangères l’une à l’autre et que les bergers aullènois pouvaient contracter un contrat de fermage avec Bonifacio. Au demeurant je ne vois pas ce qui interdirait de supposer des relations amoureuses entre jeunes gens et jeunes filles. A cette époque les marins européens commencent à silloner la terre, changeant de ciel avec des étoiles dans les yeux et la nostalgie des vieux pays au fond du cœur. Ils prennent conscience de la vraie dimension du monde. C’est le début d’un temps nouveau. Les magies de la Terre Sainte s’éteignent, laissant place au  mythe de longue date assoupi des îles enchantées.

Celui qui venait de mariculanda

Je marche au bord de la mer. Je marche et je rêvasse. J’aime marcher ainsi, fouler des jambes l’eau fraîche qui miroite sous le soleil. A croire que ce sont les reflets de lumière dans l’eau qui me poussent à cette rêverie. Je marche et je rêve, avec en tête d’autres paysages, des paysages qui sembleraient étranges aux gens de ce lieu que j’habite depuis ‘des lunes et des lunes’, comme on disait dans mon  pays de naissance. Mon pays de naissance, au-delà de tant de mers. Ici on dit ‘mariculanda’. Les pérégrinations pour arriver en mon pays dépassent de loin ce que ces bergers pourraient imaginer comme mariculanda. Que pourraient-ils comprendre de ce que je leur dirais, de mon pays enserré entre ses quatre montagnes magiques ? tellement au-delà des mers, pour ces gens qui n’ont jamais fait que piétiner dans leurs sentiers de chèvres. Je leur ai un jour parlé de Tolède où m’a emmené padre Esteban, après ma capture, et où j’ai passé une partie de ma jeunesse, alors ils m’appellent Spaniolu. J’ai encore qui me hantent la mémoire d’une infinie étendue d’eau verte et d’une énorme pirogue avec des voiles comme des ailes d’oiseau géant. De temps en temps un de mes compagnons me demande encore une fois ce que je faisais à Naples. J’étais secrétaire d’un grand seigneur… alors ils me demandent pourquoi j’en suis parti… et je hausse les épaules….j’étais jeune…la fille était belle… le père vindicatif… je me suis sauvé… et ils m’ont recueilli sur la grève, au milieu des débris d’une barque. Ce sont des gens compatissants et hospitaliers. Ils m’ont secouru et adopté. Je n’avais aucun bien. Je me suis enrôlé et j’ai gagné galons et suffisamment d’argent pour revenir m’installer, à la mort de Sampieru, dans ce bout de vallée. Que dire d’autre ? j’aurais pu m’en aller, mais je suis resté. De plus il y avait beaucoup de ressemblances avec ce que savais de ma patrie d’enfance. Ainsi la terre y est commune et l’assemblée du peuple régit les affaires courantes. Bien sûr, pour les autres, il y a la justice génoise. Et puis il y a eu Ghjacumina. Il m’a suffi de la voir marcher comme on danse sur le sentier de la fontaine, au bord du torrent. Ghjacumina, et la famille qu’elle m’a donnée. Et la vie que j’ai eue avec elle.
Je marche, à peine conscient des gens qui auprès de moi parcourent le bord de mer à la recherche d’oursins et de coques. Parfois un cri signale le passage d’un poisson. On appelle ‘o Trinna… un pesciu…’ et un jeune homme armé d’une foëne accourt. Le  plus souvent trop tard. Un busard fait le beau au dessus de l’étang. Un nuage passe. Je lève les yeux vers le ciel puis vers la montagne à tête d’homme, l’Ommu di Cagna. Ma rêverie s’est envolée avec ce nuage qui couronne le sommet sans le dissimuler dans la brume. Il devrait faire beau, demain. Je fais ce constat et je m’entends appeler de l’autre coté de la plage. Un garçonnet court vers moi.
- Zi Petru Santu voudrait te voir…  il a dit que si tu montes par le Maracunceddu tu passes le voir.
- C’est tout ?
- C’est tout.
Je passerai voir zi Petru Santu. C’est un homme de poids, fermier de Bonifacio pour nombre de parcelles et qui a bâti au Maracunceddu une maison grande et haute avec tout ce qu’il faut, sans omettre meurtrières et porte épaisse à abattant. C’est aussi un homme de bonne foi, un homme de bien. S’il m’appelle, ce n’est pas seulement pour m’acheter une partie de mon chargement. Il ouvre toujours un flacon de son vin d’Ara, quand je passe le voir, une fois discuté affaires.

Le vin est frais. Zi Petru Santu le garde dans une niche creusée dans le roc, avec le fromage dans une feuille de chou. Aujourd’hui il n’a pas l’air souriant ni de brillement dans l’œil bleu. Il ne frise pas sa moustache grise, il n’assure pas d’un geste de jeune homme sa coiffe sur son crâne  avant de parler. Il se penche vers moi, l’avant bras à plat sur la table et de l’autre main, forte, à la peau tannée par le soleil,  il me ressert du vin. Quand il parle je sens son haleine et sa moustache frémit au vent de sa respiration.
- tu es passé par le Casteddu ? je réfléchis avant de répondre. Le vieux farceur a un air sérieux.
- Non… pourquoi ? qu’est ce qui se passe ?
- Tu devrais… voilà… il se passe des choses qui m’inquiètent là haut.
Je dois avoir l’air idiot. Il me dit vivement
- Vous les aullènois vous vous souciez davantage de vos bêtes que de vos pâtres. Est-ce qu’ils ont à manger, là haut, sous les rochers du Casteddu ?  est-ce qu’ils sont en bonne santé ? qu’est ce qu’ils font ? suit un silence puis
- On dirait que ce n’est pas votre souci, comment ils vivent.
Je ne souris plus bêtement. Ce n’est pas tellement faux ce qu’il dit, le vieux. Et je dois concéder qu’ils sont peu nombreux, à Aullène comme à la Munacia à se préoccuper de ces choses. Mais il n’a jamais été aussi virulent. Je n’ai rien à dire d’intelligent. Je me tais. Zi Petru Santu boit une gorgée pour s’éclaircir la voix. Il se redresse et me regarde dans les yeux. Son visage est grave.
- Il doit y avoir autre chose… tu sais que mon petit neveu s’est engagé comme berger…
J'acquiesce d’un mouvement de tête. Depuis la mort de son mari, Lina, la nièce de zi Petru Santu, doit faire face. La famille va à vau l’eau. Les cadets sont partis chercher fortune à Rome, chez le pape. Les aînées ont suivi leurs maris. Restent le premier des garçons, malade, les  deux dernières filles et le jeune Matteu qui a du s’engager comme berger auprès d’une famille d’Aullène.
- Et bien figure toi qu’hier soir il est rentré chez sa mère en pleurant, Matteu. Il ne veut plus y retourner, à Sarrulattaghia… va savoir pourquoi. A ce moment une ombre obscurcit l’entrée de la pièce. Un homme entre. Il est jeune. Son sarreau sombre contient difficilement ses épaules et son dos. Il n’est pas très grand, mais quelle carrure ! Il s’assied et dit
- Bon ghjornu o Spagno’.
puis il saisit une écuelle et se verse du vin. Le vieux le regarde mais il n’a pas le temps d’ouvrir la bouche
- C’est fait, père… ce n’était rien. La voix est forte et agréable. Francescu continue pour moi
- Lina… ma cousine… un engrenage du moulin a lâché… il a fallu que je trouve de l’orme sec. Il me parle et ses yeux bleus sourient. A croire qu’il a inventé la joie de vivre, cet homme. Zi Petru Santu crie à la cantonade
- O Lisabè… mets deux assiettes de plus… tu restes manger avec nous.
- Volontiers, je réponds.

J’ai tenu à voir le petit Matteu avant de partir. Pourquoi a-t-il quitté ses compagnons ? a-t-il eu peur de quelque chose ? le gamin s’est réfugié dans un silence obstiné. Zi Petru Santu a raison. Il doit être effrayé par une menace quelconque, le petit Matteu. Nous marchons depuis deux heures au moins dans une atmosphère humide.
L’Ommu di Cagna n’a pas tenu ses promesses de beau temps. Il y a fort à parier qu’il a plu de l’autre coté de la crête. Nous grimpons la rampe qui mène au  Casteddu, moi devant, Francescu derrière. Le sentier monte en serpentant dans une forte pente. Je souffle un peu. Je marche un peu trop vite pour mon âge, afin de ne pas impatienter mon compagnon. Tout en marchant je me récite la liste des jeunes gens qui sont présents sur la serra entre Roccapina et Ommu Stesu. Francescu m’arrête, et je n’en suis pas fâché. Le jeune homme se glisse au sein de la masse végétale humide dans laquelle il disparaît. Au bout d’un moment il m’appelle et je le rejoins. Je débouche dans un petit carré d’herbe et une image me  traverse l’esprit. Celle de ce qui reste d’une perdrix que le renard ou le faucon a capturée, ces quelques grandes plumes et ce duvet éparpillés qui témoignent de la tragédie. Il y a là, dispersés sur l’herbe piétinée  ou accrochés aux épines des buissons quelques débris de tissu. Francescu décroche un morceau de ceinture rouge, le regarde de près et me le tend puis se penche pour ramasser un carré de chanvre bistre. Je me penche et tends la main vers une branche cassée d’arbousier à laquelle pendent quelques fils de poils de chèvre sans doute arrachés à un pilonu. Je me retourne vers Francescu qui me renvoit un regard de désolation et d’effroi. Je reste un instant debout sous l’arbousier, le cœur glacé. Puis nous faisons encore un tour du lieu. A mon avis c’est trop peu étendu pour qu’il y ait eu plus de deux combattants. Il n’y a pas d’autres indices que les quelques débris que nous avons vu d’emblée et la végétation foulée. C’est ce qui a attiré l’attention de Francescu. « Il n’y a pas  de sang » me dit Francescu. Je réponds « non… pas de sang »  mais je ne suis pas rassuré pour autant. Après deux minutes de discussion le jeune homme range dans sa besace ce que nous avons pu collecter des misérables restes et nous repartons. Tout en marchant, alors que nous nous enfonçons dans une brume épaisse qui étouffe tous les bruits je me demande ce qui a bien pu se produire dans ce bout de maquis du Co’canu. Des images parcourent mon esprit. Une lointaine scène, au bord d’un petit plateau ocre, de gens qui se battent, des meurtres, des cris de haine et de douleur puis une fuite sur les pentes d’une montagne stérile, un homme de haute taille à la tête couverte d’une couronne de plumes, un autre, mince, vêtu d’un étrange costume comme une robe marron serrée à la taille par un gros cordon et pourvue d’un capuchon qui cache le visage et moi qui passe de mains en mains. Et je sais qu’ici même, dans ce lieu où je vis maintenant, peut arriver un drame analogue. Tout en marchant je me calme et me force à me remémorer la liste des pâtres aullènois présents à la Munacia en cette fin d’hiver. Et je suis très content d’arriver au plat de la crête. Nous montons d’abord vers Ommu Stesu, attirés par des clochettes qui tintinnabulent dans le maquis. Francescu me quitte et se lance dans la descente, en criant pour appeler l’attention de quiconque serait dans ce lieu. Il revient bredouille au bout d’un long moment. Bredouille et mouillé. Je me lève et nous repartons sur le chemin de crête, vers Grussetu. La  pluie qui inondait le flanc nord a franchi la ligne de crête et nous arrose abondamment. Nous sommes très heureux de nous arrêter sous l’auvent naturel de la grotte murée. Il y a là cinq jeunes gens qui se réchauffent à un feu de branches. Nous nous asseyons parmi les pâtres et je les déduis de mon compte, après les avoir identifiés. Toute cette scène se déroule dans un climat étrange. J’ai l’impression que nous sommes retranchés du monde par le brouillard. D’autant que l’humidité absorbe tous les sons. Nous pouvons crier autant que nous le pouvons, aucune chance un jour comme aujourd’hui de nous faire entendre dans la plaine. Au bout de quelques minutes nous repartons. Nous n’avons eu aucune réponse à nos questions. Ceux qui sont absents parmi la petite bande qui se retrouve à Grussetu sont partis pour donner un coup de main à Cannisgionu ou à Bon’Anda. J’ai posé la question avec un maximum de précautions. Peut être inutiles, peut être trop manifestes, voire alarmantes. Ils n’en reste pas moins que les pâtres présents n’ont rien remarqué qui les ait inquiétés, ces derniers jours. Nous les quittons mais je garde en mon esprit l’image d’un garçonnet d’une famille d’Aullène que je connais. Il est resté tout le temps silencieux, enfoui sous son pilonu trop vaste, son visage fin et intelligent dissimulé entre ses genoux. Le petit Vintura est très communicatif, d’habitude. Je ne sais qu’en penser. Mais ce n’est qu’une impression, comme une gêne, et je m’abstiens de m’en ouvrir à Francescu. Le temps ne s’arrange pas. Heureusement nos piloni sont à l’épreuve du mauvais temps parce que la pluie se renforce. Je m’arrête.
- On ferait mieux de s’arrêter à Canton d’Aricchia.
- Si on ne rate pas le chemin.
C’est vrai qu’avec la pluie on ne voit pas grand-chose. Je scrute le sol, marchant tête penchée pour ne pas rater le sentier qui plonge vers le rocher couvert puis la source avec son abri.
J’ai failli me laisser surprendre parce que c’est plus près que je ne crois. En tout cas nous sommes à deux pas d’un abri un peu petit mais commode. Nous pourrons manger au sec. Le temps est vraiment exécrable. Nous dépassons le parvis sur lequel est appuyé Canton d’Aricchia. Il n’y a personne. Francescu sur mes talons je m’engage vers la source. C’est en arrivant que je peux sentir le fumet d’une pièce de viande qui rôtit à un feu de bois. J’allume les mèches de mes pistolets et je crie
- Amis… nous venons en amis…
Pas de réponse. Nous nous approchons, moi les mains sur mes pistolets, Francescu son pinnatu au poing. Dépassé le rocher qui fait saillie nous nous trouvons face à face avec quatre gamins, debout, l’air peu rassuré, qui se tiennent autour d’un feu sur lequel grille un cuisseau de sanglier enfilé à un pal de bois. Il y a un peu de gêne. Les gamins ont eu peur. Et puis maintenant ils se voient contraints de partager leur repas avec nous. Aussi, une fois assis sur un quartier de rocher je sors de ma bujacca mes richesses, pain, vin, uletta et châtaignes sèches. De son coté Francescu en fait tout autant en ajoutant un torchon plein de biscuits. Nous attendons que la viande soit cuite en discutant et moi en refaisant mentalement le compte des pastoureaux que nous avons vus. Il fait bon auprès du feu et nos piloni fument, lâchant de leur humidité. A nous six nous nous enfournons une bonne moitié du cuisseau. Je pense déjà au moment où il faudra repartir sur le sentier, vers Sarrulattghia. Une bonne heure de marche.

C’est un gamin à l’air décidé. Carrulu est le petit fils d’un cousin germain de ma Ghjiacumina, ce qui me donne sur lui un supplément d’autorité et un devoir d’assistance particulier. Je lui ai confié mes chèvres et mes brebis. D’abord il veut me faire le décompte du croît de mon troupeau mais je l’arrête. Je lui dis pourquoi nous sommes là. Il nous dit qu’il a vu à Misgjolu, dans le maquis et qu’il s’est mis en route pour signaler la présence du macchiaghjolu dans le Casteddu. Misgjolu ! une vendetta comme il y en a partout eu, et comme il y en aura encore. Celui là n’a jamais fait de mal à personne, du moins depuis qu’il a pris le maquis pour échapper à ses ennemis. Mais qui sait ce qui peut traverser la tête de quelqu’un qui a passé tant de temps tout seul ?  il en est qui deviennent fous.
- Tu le connais, à Misgjolu ?
- Je l’ai reconnu… on le reconnaît à Misgjolu… grand comme il est.
- Est-ce qu’il porte une arme à feu ? le gamin dit qu’il n’en a pas vu. Bien sûr, sous le pilonu, il ne peut pas dire. Une idée me vient subitement. Nous n’avons pas voulu inquiéter les pastoureaux alors nous n’avons pas mentionné notre trouvaille dans maquis. Il vaut peut être mieux qu’ils soient au courant du danger. Francescu me devance.
- Il faut qu’on te dise… il faut faire attention. Attention… on ne sait pas ce que c’est, mais on a trouvé des indices de lutte dans le Co’canu. C’est peut être grave. Préviens quand même les autres, qu’ils ne se trouvent pas isolés dans le maquis.
Carrulu me regarde, l’air interrogatif.
- Nous essayons de savoir si quelqu’un manque, de ceux d’Aullène. Est-ce que tu sais si quelqu’un manque ?
- Je ne peux pas dire… on bouge beaucoup, tous les jours. Il attend un moment puis il continue
- Tu sais ce que c’est. On se voit… on se donne des coups de main… on va à gauche… à droite… hier il y avait beaucoup de monde à Bon’ Anda. Personne n’a dit que quelqu’un manquait… ah oui !
Je redresse la tête.
- Il y a Matteu qui est rentré chez sa mère, au Maracunceddu.
- On sait pour lui.Tu sais pourquoi ?
- Non… je crois qu’il ne s’y faisait pas, au métier de berger.
Je suis songeur. Zi Petru Santu pensait que le petit Matteu avait peur de quelque chose. De quoi ? de Misgjiolu ? il ne semblait pas être au courant de la présence du proscrit dans le coin. Alors, quoi d’autre ?
- Il a des amis, Matteu ?
- Il était souvent avec notre parent… le petit Vintura. 
Je l’ai indisposé. Je ne sais quoi penser de cette affaire, et encore moins quoi faire. Cette indécision, Carrulu  la sent, et ça le perturbe. Et moi donc !
Nous voilà repartis vers Sarrulatagghia. Il y a des heures que nous marchons et j’ai besoin de repos. Un bout de pain, un verre de vin et dormir ; voilà tout ce à quoi j’aspire. L’abri semble vide, à notre arrivée. Nous en faisons le tour, nous appelons du rocher qui sert de toit. En pure perte. Nous entrons dans la grotte. A peine hospitalier, l’abri, froid, sous la roche naturelle, et pourtant, quel soulagement ! je jette un œil dans l’obscurité. Il y a du changement. Quelqu’un a aménagé une longue banquette de pierre. Je vérifie que l’amadou de la mèche et la poudre d’amorce de mes pistolets sont secs et je les range contre la paroi. Je m’étends sur la banquette, enveloppé dans mon pilonu. La nuit passée chez Petru Santu n’a pas réparé toute la fatigue de ma descente d’Aullène. Cette course, c’est trop pour mon âge. Et moi qui avais prévu d’aller jusque Vadi Scopa. Je suis étendu, le regard vers le plafond de la grotte. Francescu s’agite dans un recoin, coupe du bois, l’entasse entre trois cailloux. Je fais simulacre de me lever mais il m’arrête d’un regard. Il pourrait être mon fils, Francescu. Et je m’endors, d’un coup.
J’ai gardé de mon passé d’escrimeur –merci à toi, don Alvarez, vétéran de Pavie- et de mes aventures avec Sampieru Corsu l’habitude de m’étirer consciencieusement à mon lever. Francescu s’affaire auprès d’un petit foyer de sarments secs vidant le contenu d’une grosse zucca dans un récipient en cuivre qu’il dépose sur le feu. Quand j’ai fini mes gesticulations la soupe est prête et nous la mangeons, plongeant chacun son tour une cuillère en bois dans la casserole. Miracle d’un peu de bien être ; je me sens dans une condition de jeune homme. Je vais sur le parvis de la grotte. Ce matin le paysage est baigné de lumière et résonne de tous les bruissements du maquis. Des hauteurs où il se tient le Canton’ d’Aricchia répercute les appels des pâtres qui se saluent en se quittant, les aboiements des chiens, les bêlements des brebis et les tintements des clochettes. Ravis du beau temps nous rassemblons nos affaires et nous nous lançons dans la descente vers Vadi Scopa.

Nous cheminons depuis une heure au fond d’un maquis, entre deux murs de bruyères. On n’entend rien. Pas le moindre appel, pas un pépiement de perdrix. Tout bruit passe au dessus de nous. Je ferais n’importe quoi pour échapper à ce sentiment d’oppression. Au croisement de Bon’Anda Francescu me dit de prendre à droite. Je suis d’accord. Au bout de quelques minutes nous tombons sur un amoncellement de gros cailloux que nous escaladons.
- J’en avais assez… dans ces bruyères. On ne voit ni on n’entend rien.
Du sommet de cet amas qu’on appelle ici scialvaru les sons parviennent à l’oreille et on découvre l’ensemble un panorama plus ouvert. Debout sur la plus haute roche nous inspectons les lieux. Inutilement, en apparence.
- Il ne se passe rien… allons nous en.
Je lui donne un petit coup de coude dans les côtes. A bonne distance, sur le flanc d’en face, un homme monte avec vivacité la pente qui mène à la Pitrosa. Nous nous regardons. Mimique pour mimique. Trop loin pour reconnaître l’individu que nous continuons à suivre des yeux quand je sens une pression sur le bras puis pointe son index plus haut dans la pente. Encore des échanges de mimiques dubitatives. Cet autre homme semble lui aussi pressé par l’enfer mais il m’est impossible  d’affirmer que le second poursuit le premier, que de toute façons il ne semble pas en mesure de le rattraper. Nous restons sur le scialvaru à suivre la double course. De temps en temps un des deux hommes disparaît dans un creux de  végétation. Nous restons là jusqu’à être assurés qu’ils sont tous deux passés de l’autre coté de la crête. Peut être apprendrons nous quelque chose des bergers de Bon’Anda ou de Mariola. Pas sans nous être restaurés. L’heure de la collation du matin a sonné au creux de nos estomacs. Nous descendons de notre observatoire pour faire spuntinu à l’ombre. C’est là que Francescu, tout en sortant ses provisions me dit :
- On disait dans le pays qu’avant-hier on a entendu un coup de feu du coté de la Fossa.
Je fais la moue. Pourquoi un coup de feu ? qui ça peut-être ? un coup de feu qui a tué le sanglier que nous avons mangé hier ? en plus vient se mêler à tout ça Misgjolu Je ne le vois pas en meurtrier, Misgjolu. J’ai dans l’idée qu’il a été accusé sans preuve. Désespérant de prouver son innoncence à la famille du mort –des gens de Levie- il a pris le maquis, ce que n’importe qui aurait fait à sa place. J’ai beau réfléchir, je ne vois aucun lien dans tout cela.
Le soleil a dépassé son plus haut depuis longtemps que nous marchons encore, en quête des troupeaux. Nous avons croisé et interrogé une bonne douzaine de pâtres sans résultat. Aucun n’a pu nous dire s’il y avait un manquant ni nous donner de précision sur les deux hommes que nous avions vu courir vers la Pitrosa. Quelques uns ont reconnu avoir entendu un coup de feu deux jours plus tôt.
- Si on passait chez Anton’Marcu ?
Francescu opine de la tête. Anton’Marcu est un homme qui cultive quelques parcelles aux environs de Capucciagghia. Nous le trouvons dans son jardin, aux abords de sa citerne remplie. Il fait de l’herbe pour ses lapins. Nous nous saluons, nous informons de la santé  des uns et des autres, des quelques nouvelles intéressantes, du temps et de la pluie. Il voudrait nous emmener chez lui mais nous lui expliquons notre démarche. Au bout de quelques minutes je me fais à l’idée qu’il ne sait rien sur les sujets qui nous intéressent.

Francescu piétine  les braises sur lequelles à grillé notre lard et parachève d’un filet d’eau son oeuvre. J’essuie mon couteau à une feuille d’arbousier et le range, puis je m’allonge, la tête sur trois branches de bruyère. La marche et mon âge commencent à me peser sur les genoux. Je tombe dans le sommeil, comme une masse. Et je me réveille avec une sensation pénible d’impuissance face à un danger inconnu, dans le souvenir d’un rêve. Je tentais de rejoindre un havre de paix dans une grotte accueillante mais je ne pouvais faire un pas sans m’emmêler les pieds. A mon coté, dans l’ombre, j’entendais chuchoter des messes basses. Ce sont des chuchotements qui m’ont réveillé.  Je me lève et je fais quelques pas vers la source du bruit. Ils sont deux qui discutent avec Francescu. Les trois hommes sont accroupis, comme on le fait pour tenir à l’écart les gêneurs. Je suis un peu embarrassé d’imposer ma présence mais, compte tenu des circonstances, je m’avance. En me voyant Francescu se relève.
- Ah… tu es réveillé.
Il est imité par les deux autres qui me saluent. Il y a là un gaillard fort en gueule et un petit rouquin, un voisin d’Aullène. Je n’ai jamais pu accrocher le regard de ce jeune homme. Pas étonnant de les trouver ensemble. La voix publique aullènoise leur promet, à l’un et à l’autre un avenir de gibet. Il y a eu un moment de gêne à mon approche et je regrette presque d’avoir fait jouer la prérogative due à mon âge et à mes parentèles. Je voudrais leur poser quelques questions. Visages fermés, ils disent qu’ils ont à faire. Ils s’enfoncent dans le sentier, dans le sens de la montée. Nous les suivons de l’œil un moment puis Francescu se tourne vers moi avec une mimique appuyée par un haussement d’épaules ; perplexité et impuissance. C’est aussi mon sentiment. Nous repartons dans la descente. Je garde longtemps dans mon esprit les cernes et le visage aux traits incertains de Rustusciummu, le gros blond. Il a l’air épuisé, comme quelqu’un qui a fourni une bonne course. Ses joues rougeaudes et ses mains sont lacérées de griffures de ronces. Cela arrive souvent, aux bergers qui sont obligés de se lancer à la poursuite d’une bête capricieuse ou apeurée dans ce maquis ingrat. Pour ma part je n’aspire plus qu’à m’allonger dans un recoin de grotte et à me reposer. Heureusement nous ne sommes plus très loin de Bon’Anda.
Francescu me dit
- Ce n’est rien… continuons.
J’ai l’impression qu’on m’appelle et je tends l’oreille.
- Spaniolu… Spaniolu…
C’est Carrulu. Le jeune homme est essoufflé et comme Rustusciummu tout à l’heure il porte les stigmates de quelqu’un qui s’est engouffré dans un maquis. Griffures au visage et aux mains. Je sens qu’il va me dire quelque chose mais ça ne sort pas. Plus loin dans le sentier, à quelques pas, Francescu s’est arrêté. Je n’insiste pas. Ça attendra, Bon’Anda.

Ils sont une douzaine qui pâcagent dans le coin. C’est un lieu ombragé, très agréable l’été, avec le ruisseau qui coule en contre bas, la fontaine, les deux jardins, une maison, un moulin à eau et son réservoir. La propriété est affermée par Bonifacio à des gens que je connais. Saveriu est un bonhomme qui me saute dessus dès qu’il me voit et m’entraîne vers sa demeure. Il appelle à la cantonade
- Lillina… o Lilli… mets une assiette de plus… nous avons de la visite.
Je suis très ému de l’accueil du petit homme qui me donne l’accolade et me souhaite la bienvenue avec tant de bonhomie et un peu soucieux de la disparition de Francescu qui s’est défilé entre deux énormes rochers. Je suis mon hôte qui me fait les honneurs de sa maison. Dês l’entrée nous sommes accueillis par l’odeur d’une soupe qui cuit dans l’âtre. Pendant le repas nous discutons de choses et d’autres. Ils sont surpris de me voir sans mes mulets et ma marchandise. Je leur dis que je reviendrais mais que je visite les bergers d’Aullène. Lillina est femme. Elle ne peut pas tenir. Tout en mangeant dans son écuelle en compagnie de son aînée, debout auprès de l’âtre, elle m’interroge sur ce que j’ai comme tissu et autres choses pour foulards et robes. Saveriu sourit complaisamment. ‘Ces femmes et leurs babioles’. Du coup je fais le détail de ce que j’ai apporté d’Ajaccio et je promets de repasser. Ce qui n’aurait pas manqué de toute façon. Les fermiers ont souvent de la monnaie. Il faut toujours marchander, bien sûr, mais avec eux on évite souvent le troc. Les enfants se lèvent de table. Les garçons s’égaillent dans les environs, à la recherche des pâtres de leur âge, pour jouer, tendre des pièges aux oiseaux. Tiresa, la fille aînée, dessert la table.
- Et comment ça se fait, que tu fasses tous ces allers retours ?
Je lui raconte notre trouvaille dans le maquis, la veille, aux environs du Co’canu. Ni Saveriu ni Lillina ne peuvent me dire si quelqu’un parmi les pâtres qui pâcagent dans le coin est absent. Et  puis la femme se reprend.
- On les voit tous les jours… hier et avant-hier je n’ai vu ni Rustuciummu ni Ghiatti Vulpu. Cette révélation ouvre sur d’autres. Je questionne. Le gros à lard, la grande gueule et son ami, le rouquin sournois, disparaissent de temps en temps, laissant leurs troupeaux à la garde des plus jeunes. J’ai fait le métier, et je sais que cela arrive souvent. Je sais aussi que les plus grands s’autorisent d’autres pratiques, des privautés moins anodines. La discussion est lancée et je n’ai pas à poser de questions pour l’instant.
- Il y a aussi Misgjolu dans le coin… je te le dis… mais tu l’aurais su de toutes façons. Il a tué un sanglier… celui qu’on vient de manger. Mais il ne nous a rien dit… tu sais comment il est Misgjolu.
Nous parlons du proscrit un moment. Saveriu ne fait pas mystère avec moi que Misgjolu est toujours le bienvenu chez eux. Pour eux, c’est une affaire malheureuse et Misgjolu s’est trouvé pris dans une machination. Tout en parlant je me dis que s’il y a un lien entre ce que nous avons surpris dans le maquis à Vadi Scopa, ce que nous avons découvert dans le Co’canu et la présence de Misgjolu, si loin d’Aullène, je ne le vois pas.
- Vous n’avez vu personne d’autre, ces derniers temps, dans le coin ?
- Personne.
Maintenant je sens que ces braves gens sont aussi inquiets que moi. Puis Tiresa, la fille de la maison interpelle sa mère. Elles ont trouvé un des pâtres en pleurs dans le maquis, il y a deux jours.
- Tu sais bien… le petit qu’on voit de temps en temps, Damianu…
Lillina confirme. Mais ce n’est pas rare que des pâtres pleurent dans le maquis… les plus petits du moins. Les plus grands ne sont pas toujours tendres. Ce qui n’est pas une révélation pour moi. J’ai surpris à plusieurs reprises, en faisant le tour de mes troupeaux, des choses qu’il est difficile de raconter, surtout à des braves gens comme Lillina et Saveriu, tellement innocents tous deux sur ces questions.
- Et vous l’avez revu, à Damianu, aujourd’hui ?
Les trois se consultent. Conclusion. Il mêne son toupeau plus haut, vers le Pintonu, et il ne descend pas tous les jours, n’est ce pas. Pendant que mes hôtes parlent je fais un tour de tous ceux que j’ai vu, ou dont on m’a certifié qu’ils étaient présents. Je me souviens n’avoir pas vu le gamin, mais les autres que j’ai interrogés ne l’ont pas compté comme absent. La nuit tombe. Saveriu me ressert un verre de vin. Lillina jette quelques châtaignes dans une poêle percée et la pose au dessus du feu, calée par trois pierres. La fille aînée va sur le seuil et appelle à la cantonade ses frères et sœurs. Bientôt la maison retentit de rires et de cris.  Saveriu a bien du mal à mettre un peu d’ordre. La veillée s’achève.  Lillina me dresse une paillasse dans un recoin de la salle, pas trop loin du feu.
- Il fait encore froid, certaines nuits… vous serez bien là.
Je remercie et me couche. Avant de m’endormir je me pose question sur question, et en particulier les raisons pour lesquelles mon compagnon n’a pas eu droit au même traitement que moi. Les deux familles ne sont pas en mauvais termes, pour autant que je sache. Et puis mon esprit s’évade.
Yatahey yatahey ! souvent avant de m’endormir, ou parfois quand je me réveille, la nuit, la vieille salutation résonne en ma poitrine. En ai-je rêvé de mon pays de naissance, et de ma mère ? Revoir ma mère, lui parler, revoir les quatre montagnes entre lesquelles il se trouve cerné, mon pays de naissance. Ces nuits là je me désespère. Tout ce temps  passé  ! et ces mers… ces espaces… les Canarias… la Castille…Naples… l’impression d’avoir trop vécu … tout ce qu’on tait, tout ce qu’on ne se dit qu’à soi même en ces jours où s’annonce l’abîme . Je sais que je ne le retrouverai jamais, mon pays de naissance. Et ma mère est certainement morte. Il pourrait me rester la mémoire. Mais j’ai tant oublié. Surtout de la langue de ma mère.  Voilà mes rêves et mon tourment. Je rêve et je me réveille, la tête pleine de paysages excessifs créés par je ne sais quel démon. Ce même esprit malin doit être malin au  delà du possible car du visage de ma mère, que padre Estéban disait si belle, il fait parfois une pomme avec des joues rondes et rouges et deux prunes noires qui me mettent mal à l’aise comme si j’étais coupable, ou aussi bien au centre d’une crinière noire une tâche pâle toute en yeux immenses et en bouche trop large. Je sais qu’il s’agit de ma mère et ça suffit pour me réveiller, en fond de mon esprit embrumé les images de mes oncles, guerriers emplumés piétinant l’aire des rassemblements héroïques, vieux chants épiques aux lèvres et d’autres, en armures juchés sur des animaux aux longues pattes jamais vus dans le pays. L’âge n’y a rien fait. Je rêve de ma mère et je pleure. Je ne me souviens plus du visage de ma mère. Je me souviens bien de celui de mes oncles mais de ma mère il ne me reste qu’une sensation de douceur, une tiédeur dans ma poitrine. Et pourtant ma mémoire qui a oublié tant de choses a gardé le souvenir d’une île dont les habitants sifflaient à tout bout de champ. On les entendait dans les montagnes, ces sifflets. Depuis, j’en ai tellement vu au cours de mes pérégrinations que je me demande bien ce qui de tout cela a de la valeur. Et ce que vaut une vie. Quand je suis dans cet état d’esprit je voudrais… je voudrais je ne sais quoi, sauf qu’il me semble que je n’ai jamais assez réfléchi à des choses importantes… ce qui fait le monde, ce qui fait que les gens sont ceci ou cela et à l’importance des choses. Et sur la fin de nuit je me rendors. Au réveil je dois me secouer pour être un tant soi peu en accord avec ce que l’on attend de moi. Voilà ce que je fais, ce matin, allongé sur une douce couche et m’y attardant jusqu’au moment où je me réveille tout à fait. Sans doute l’odeur d’une soupe qui réchauffe et les allées et venues discrètes de quelqu’un. Une femme. Allons ! il faut que je me secoue.

- Tu l’as vu, à Francescu.
- Non. Il est parti de bonne heure. Il a dit que tu l’attendes.
Le garçonnet qui se tient devant moi doit à peine dépasser les onze ans. Il semble malade. Il me regarde avec des yeux fiévreux qui quémandent un peu d’attention. Je sais que la vie dans ce recoin de la terre est dure. Et que les familles ont besoin que tout le monde soit à la tâche très tôt. Mais à onze ans, sur ces crêtes inhospitalières, quand même. Ils doivent rêver de la maison familiale, et de leur mère, ces enfants. Et moi, j’ai si peu de temps à lui consacrer, à ce petit Vittoriu. Je lui redemande s’il y a longtemps qu’il n’a revu Damianu. Il ne peut pas me dire. Ce qui veut dire que je dois remonter dans la vallée pour interroger les pâtres qui fréquentent les mêmes pâturages et les mêmes abris. Quelque part dans le jardin Saveriu mène un boucan d’enfer. Il doit redresser sa murette écroulée. Quand j’arrive il est en train d’essayer de mettre en place une pierre trop grosse pour un seul homme. Nous nous échinons pendant un bon moment. Le bloc est au bon endroit mais il bouge. Je lui dis que je vais m’en occuper et il me quitte pour un autre travail. J’assemble des petits cailloux et je les place ici et là, bougeant le gros bloc quand soudain une ombre se projette sur le muret. Je me retourne. C’est Carrulu. Il m’aide à finir de caler le bloc ; quelques efforts et la grosse pierre ne bouge plus. Un appel de la maison. C’est Lillina. Elle propose au jeune homme le reste de la soupe du matin. Pensez qu’il dit non, Carrulu. Tout en lapant son écuelle, avec les femmes qui vont et viennent autour de nous, il me parle ; précipitamment. Et il a des choses à me dire, Carrulu. Je me garde une réflexion pour moi. Il aurait aussi bien pu me raconter tout ça hier.
Il a eu le temps de réfléchir, Carrulu. Ça fait bien trois jours qu’il ne l’a pas vu, le petit Damianu. Et moi qui me sens plus que fatigué, après ces courses en montagne, depuis quatre jours que je suis descendu d’Aullène.
- Et Rustuciummu… et son compère, ce Ghiatti Vulpu… qu’est ce qu’il en est ?
- Ils vont et viennent… ils laissent le soin de leurs troupeaux aux plus jeunes. Ils cherchent des acheteurs… ils se chargent de la vente… ils pèsent, à leur façon…
Je traduis… ils payent ce qu’ils veulent… ou ne payent pas. Je connais bien tout ce dont il s’agit. Les menaces, les brutalités… et personne ne se plaint, de peur des représailles.
- Alors ils doivent voir du monde, par ici.
- Il y a du monde qui monte, de temps en temps…  le chasseur de la Munacia… et un autre des environs de Bonifacio. Je lui demande, pour ses griffures sur son visage.
- Je me suis jeté dans le maquis pour ne pas être vu des deux autres, Rustuciummu et le rouquin.
Puis il se tait. Et moi, je reste avec l’idée qu’il ne me dit pas tout ce qu’il sait. Qui veut-il épargner ? pourquoi cette prudence ? je me décide à le forcer un peu quand un éclat de voix joyeuse résonne dans le sentier qui mène aux grottes murées. C’est Francescu. Carrulu s’en va vers la maison pour rendre son écuelle. Je les vois un instant, Tiresa et lui, debout, l’écuelle entre eux, silencieux, yeux baissés. Et j’oublie de lui demander pourquoi il évite de se trouver en présence des deux compères.

Francescu m’a proposé avec raison de nous séparer. Pendant que j’enquête dans les hauteurs il continuera de chercher sur le bord de mer. Nous nous retrouverons chez son père, au Maracunceddu. Au moment de partir j’entends un appel. Je m’arrête pour savoir ce dont il s’agit pendant que Francescu disparaît dans le sentier qui serpente vers  Roccapiana.
- O Spanio… attends… attends.
C’est Saveriu. Il vient à moi, tirant un grand âne au bout d’une longe. Je remercie. Et je reconnais in petto que c’est bien venu, une monture. Savériu me tend ses mains en coupe pour tenir mon genou et je me huche sur le robuste baudet. Je vais pour demander… mais le brave homme me coupe la parole.
- Quelqu’un me le  ramènera, l’âne… va o Spanio… va.

Carrulu, qui trottine devant s’arrête soudain, se tourne vers moi, l’index en travers de la bouche. J’arrête ma monture. Le gamin revient silencieusement, prend la bride de mon âne et  m’entraîne vers un infime trou de la verdure du maquis pendant que je prépare mes pistolets. Nous attendons là un bon moment. Je vais pour ranger mon arsenal derrière mon dos, sous mon sarreau, mais j’entends un discret bruit de pas. J’espère que la fumée des mèches se dilue dans le feuillage de l’oléastre qui nous dissimule. Je distingue quelques bruits de pas, et puis un appel, léger. Carrulu se tient, à la tête de ma monture, figé.
- Spanio… o Spanio… c’est moi, Misgjolu. Je sais que vous êtes là… vous ne risquez rien. A travers le feuillage je scrute ce que je peux voir du sentier. Je ne peux distinguer qu’une silhouette sombre, celle d’un homme qui tient une arquebuse à bouts de bras. La mèche semble éteinte. D’un  geste j’empêche Carrulu de s’avancer à découvert.
- C’est toi, Misgjolu ?
- C’est moi…
- Tu es seul ?
- Tout seul… je consulte des yeux Carrulu. Le gamin a l’oreille fine. Il lève un doigt pour me dire qu’il a entendu un seul bruit de pas, tout à l’heure. Je fais :
- Avance. Et Misgjolu fait  quelques pas dans la petite clairière. Il pose son arquebuse par terre et se défait de son pilonu qu’il laisse tomber à ses pieds. Il a, passés à sa ceinture, un couteau et une serpe qu’il dépose également. J’avance et me présente.
- Bon ghiornu o Spagno
- Bon ghiornu o Misgjo.
Misgjolu est en confiance. Il nous a entraînés dans un maquis profond, sous un scialvaru où il s’est creusé une niche pour la nuit. Quand il nous a découvert sa cache, j’ai surpris un regard qui exprimait un sentiment curieux. La désolation d’un homme réduit à de tels expédients pour survivre, simplement survivre. Mais là nous sommes à l’abri de toute incursion et nous pouvons parler sans gêne. Et peu à peu un certain bien être s’est installé entre nous. Il y a du vent, mais les nuages coincés sur la crête de la serra s’alignent comme des moutons géants dans le ciel bleu. L’Ommu di Cagna dont on voit tout juste la tête promet du beau temps. Frais mais beau.
Nous avons profité de la rencontre  pour faire spuntinu. Et nous avons parlé. J’ai d’abord raconté ce qui me pousse à arpenter depuis deux jours ce maquis touffu, ce lieu du Co’canu où nous avons trouvé ces traces de combat, la possible disparition du petit Damianu, ce que m’a dit zi Petru Santu, ce que m’a révélé Carrulu.
- Ainsi ils rançonneraient les pâtres… je les ai bien vus avec cet homme de Bonifacio… et avec Francescu aussi…
- Avec Francescu ?
Misgjolu parle avec les yeux… au creux de ses orbites son regard est éloquent. Il ne parle pas pour ne rien dire.
- Avec Francescu. Suit un silence ; puis :
- Tu sais que j’ai été victime de bavardages… voilà… ce que j’ai vu ce matin. Un autre silence. Le proscrit prépare ce qu’il va dire, pour ne pas se livrer au risque d’être interprété au-delà de ce qu’il veut dire. Puis il regarde Carrulu. Mais il sait que le gamin est d’une grande maturité pour son âge. Il parle donc.
- Voilà… ce matin j’avais à faire par là, en bas. Je suis  obligé d’être discret… mais dans certaines circonstances je le suis encore plus… quand je ne suis pas seul en cause… alors je ne me suis pas montré. En plus, eux, ils n’avaient pas peur de faire du bruit. Du moins Francescu. Mais j’étais trop loin pour comprendre ce qui se disait. Il avait l’air très énervé, Francescu.  Quand je les ai surpris, il les engueulait faut voir comme. A un moment il a donné un coup de poing à Rustusciummu. Il l’a étalé d’un seul coup. Puis il a attrapé le rouquin par le collet et il l’a traité à coups de pieds et de poings faut voir comme. Et quand Rustusciummu s’est relevé, il lui a encore donné une rouste. A la fin il les a laissés tranquilles. Avant de se quitter j’ai vu Rustusciummu prendre quelque chose sous son sarreau et le tendre à Francescu. Ne me demande pas ce que c’est, je n’en sais rien. A ce moment Francescu me tournait le dos… ce qui fait que je n’ai pas pu tout voir… mais il a eu l’air de garder ça en main pendant un moment. En tout cas, ça tenait dans la main. Tu en tireras les conclusions que tu veux. Tu connais ma situation… je n’ai pas besoin d’avoir encore plus de gens sur le dos… et ce que je  te dis je ne le raconterais pas à grand monde.
Je le comprends, à Misgjolu. Il ne veut pas compromettre ceux qui le ravitaillent. Et il à son compte de gens qui veulent sa peau. J’imagine qu’il a surpris Francescu et les deux autres au cours d’une tractation, ou du paiement d’une dette. De l’origine de cette dette, si c’est bien ça, je peux me faire une idée, une idée qui m’attriste. Pauvre zi Petru Santu… son fils fréquente une bien mauvaise compagnie. Qu’est ce qu’ils ont pu lui donner, les deux hommes ? quelque chose qui tient dans la main fermée… quoi d’autre que de l’argent ? d’où viendrait cet argent ? si c’est ce que j’imagine, ce Francescu, il ne serait pas le fils affectueux, l’homme droit et fidèle qu’il prétend être. Il y a autre chose qui m’inquiète, quelque chose qui me paraît anormal. Il n’avait pas besoin de battre ainsi les deux hommes, s’il s’est agi du simple paiement d’une dette. Un homme comme Francescu… il aurait du se contenter de menace, voire d’une gifle ou deux. Je sens qu’il y a là quelque chose qui ne va pas. Comme je ne puis réfléchir plus loin je me fais répéter deux ou trois choses par Misgjolu. Le proscrit me confirme. Francescu a battu comme plâtre les deux hommes… Rustusciummu lui à remis de quelque chose qui tenait dans la paume de la main… il n’a rien pu saisir de ce qui se disait. Nous restons là, un court moment silencieux. Il fait bon au soleil mais il va falloir reprendre la route. Enfin ! j’ai bien cinq minutes. Et puis je demande à Misgjolu comment il se tire d’affaires dans la triste aventure où il est plongé. L’homme est en confiance, il a besoin de s’épancher, et de fil en aiguille il me raconte en détail les circonstances qui l’ont conduit au maquis.

Avant les ennuis qui avaient fait de sa vie  un enfer le proscrit était un éleveur de chevaux réputé. Un jour qu’il faisait parader sur la place de l’église un superbe étalon de quatre ans un amateur de chevaux lui fit une offre mais Misgjolu refusa de vendre, expliquant qu’il réservait l’animal à la reproduction. Cet homme, connu à Aullène où on l’appelait Ghjaseppu de Levie, marqua un peu de dépit mais il accepta la coupe de l’amitié avant de reprendre sa route et Misgjolu rentra chez lui et ne pensa plus à cette affaire. La suite est des moins claires. Quelque temps après arriva de Levie un groupe d’hommes en armes qui cherchaient Misgjolu. Ceux qui étaient là et leur parlèrent comprirent que ce Ghjaseppu leur avait dit avoir acheté et payé à Misgjolu un étalon et qu’un jeune homme devait emmener l’animal et le laisser dans son pré. Mais rien ne s’était passé comme prévu. Dans la matinée de la veille un cousin de ce Ghjaseppu l’avait trouvé mort, baignant dans son sang derrière une murette, à deux pas de ce fameux pré où, au lieu d’un étalon, paissait une haridelle. Un sien cousin est monté sur le Ghjadacu où il savait trouver  Misgjolu et lui a tout dit, notamment que des parents de la victime, en armes, se relayaient sur le territoire d’Aullène. Il ne restait à Misgjolu qu’à disparaître, alors il a pris le maquis avec comme souci supplémentaire la sécurité de ses proches que la vendetta n’épargnerait pas et pour soutien le mince espoir d’un miracle révélant la vérité. Il termine son histoire ainsi, avec une moue amère. Je demande ‘mais ce jeune homme… qui c’est ?’ et Misgjolu me répond que personne ne l’a vu, à Lévie, et que donc on ne peut l’identifier. En me racontant la chose il m’a dit qu’il pense par moments aller se disculper auprès de la famille de ce Ghjaseppu. Au jour du crime il n’était pas à Levie.
- Est-ce que tu peux produire un témoin ? il me lance un regard lourd de sens. Il a sa réputation, Misgjolu… un jour dans un lit, une nuit dans un autre… ce qui fait que je n’ai rien à dire, et donc je ne dis rien. Une idée me vient.
- Et l’étalon ?
- Il a disparu… et il me manquerait aussi une jument muletière. Je me gratte la tête et ne trouve rien d’autre à dire que
- Ça ferait le compte alors.
- C’est la seule chose qui tienne debout, dans mon affaire. Je ne réplique rien sur le champ. Ça ne m’empêche pas de réfléchir à cette histoire du jeune homme faussement intermédiaire. Il me semble que c’est là le nœud de l’affaire.
- Nous ne sommes pas tellement nombreux à Aullène… il y a quelques voleurs de poules… tous les adolescents ont fait ça, voler une poule de temps en temps, pour une ribote. Mais là c’est autre chose. C’est un coup combiné… et des gens capables de ça il n’y en a pas beaucoup.
A le voir, je sens qu’il entend bien. Je ne peux aller trop loin. Il y a trois ou quatre familles à peu près infréquentables… et il est proche parent de l’une d’elles. S’il n’est en bon terme ni avec le père, ni avec la mère qui est sa cousine germaine… la mère de Rustusciummu… il est quand même des leurs. Je sens qu’il réfléchit, en même temps que  moi. Le gros lard, c’est son petit parent ; et son petit parent, il l’a laissé battre comme plâtre sans intervenir. Il se doute, Misgjolu, que c’est entre nous, cette réflexion. Il sait aussi que je n’ai aucune envie de me mettre à dos la famille de Rustusciummu. Comme dans mon pays de naissance les gens d’ici ont en général la rancune longue. Il y a aussi ce Ghiatti Vulpu, qui est très prometteur, pour toute vilenie, quoique plus prudent. Le rouquin n’a quasiment pas de famille à Aullène, ni personne qui le soutiendrait. Comme moi Misgjolu sait qu’ils se sont associés en bien des occasions répréhensibles, les deux malicieux.
- Cette histoire de Damianu m’inquiète. Je monterais bien avec vous voir si on peut trouver quelque chose.

Et nous voilà partis tous les trois, le petit Carrulu qui ouvre la voie, Misgjolu derrière et moi en arrière garde, à quelques pas. Tout en réfléchissant je me devine que le petit Damianu lui est cher pour une raison cachée, au proscrit. Je me souviens qu’il avait été quasiment fiancé à la mère, mais l’affaire ne s’est pas faite. C’est souvent que sur les enfants de la femme qu’on a aimée sans espoir se reporte une espèce d’affection, comme un souvenir témoin de l’ancien attachement. Mon âne peine un peu dans la montée. Une grosse pierre m’aide à mettre pied à terre. Un peu de marche me fera du bien.
- On a le temps de pousser jusqu’au Co’canu. J’aimerais bien voir ce que tu m’as dit. Si tu n’es pas trop fatigué du moins.
- Ça va… ne t’en fais pas. Faisons comme tu dis. Je dis à Carrulu
- Toi tu montes à Grussetu… nous te retrouverons là haut. Et nous repartons, en plongeant dans la vallée au bout d’une petite demi heure de marche, là où les deux sentiers se rejoignent.

J’ai mis quelques minutes pour retrouver le lieu. Le jour où j’y suis passé, avec Francescu, il pleuvait. Aujourd’hui il fait beau, et tout change. Enfin, nous y sommes.  Pendant quelques minutes Misgjolu examine les lieux, le petit endroit herbeux où nous avons retrouvé les débris de tissu, le lieu du combat. Il a du voir quelque chose d’autre parce qu’il disparaît dans les bruyères particulièrement hautes à cet endroit. Un peu intrigués je le suis jusqu’à aboutir à une roche en surplomb. Il y a dans l’air une odeur douceâtre qui m’incommode.
- Ça sent la charogne.
C’est ça ; ça sent la charogne. Misghjolu met un doigt en travers de la bouche, tend l’oreille. Quelque part en contre bas une pierre roule. Une autre, une branche casse sous le poids de quelque animal. Puis un juron. Ce n’est pas un animal. Nous restons silencieux. J’allume les mèches de mes pistolets, Misghjolu en fait autant pour son arquebuse. Dissimulés par la végétation nous attendons pendant un certain temps au bout se fait à nouveau entendre un fracas de branches cassées et de pierres qui roulent. Puis des bruyères sont secouées, de plus en plus près de nous, et soudain apparaît en pleine vue Francescu, qui émerge de la masse des arbustes, un gros colis sur le dos. Harassé certainement par sa montée avec son fardeau le colosse le fait glisser doucement de son épaule et le dépose dans l’herbe, avec délicatesse quasiment, et s’accroupit. Le dos du colosse me dissimule partiellement ce qu’il fait mais je me rends compte qu’il soulève un pan de tissu, ce qui fait apparaître un visage, le visage d’un enfant, celui du petit Damianu. C’est le moment que je choisis pour faire mon apparition, avec derrière moi Misgjolu. Francescu lève les yeux vers moi, me regarde intensément, regarde Misgjolu, regarde nos armes.
- Il a la tête éclatée… il était sur un rocher en contrebas. Il dit ça comme ça… d’un ton presque normal, mais ses épaules s’affaissent et il reprend d’un tout autre ton
- la tête éclatée… mais il n’y a pas que ça.
Il découvre le petit cadavre. Il est quasiment nu, une fois retiré  le pilonu. Il a l’intérieur des cuisses couvertes de sang séché.
- Le pauvre… il a du souffrir.
Nous nous entre-regardons pendant une minute, avec au fond des yeux des images de ce qu’a subi le petit Damianu. Ce n’est pas la peine de le retourner. Il y a encore de l’eau dans le ruisseau de Stesu. Misgjolu nous assiste dans la  pénible tâche de la toilette mortuaire et prend congé non sans m’avoir dit à mi voix « si tu as besoin de moi je serais là où tu sais ». A notre arrivée à Grussetu nous trouvons quelques bergers, adultes et adolescents. Nous déposons le petit cadavre au centre de la tegghia et tout le monde fait cercle autour. Je raconte à tous que nous avons trouvé le petit Damianu au pied d’un rocher. Il en est certainement tombé en suivant une brebis. Il n’y a pas de question. Nous restons ainsi un long moment, dans un silence parfois interrompu par un sanglot nerveux C’est dur pour les plus jeunes. Nous leur commandons d’aller se coucher et nous commençons la veillée. Demain, à l’aube, trois des bergers adultes, des volontaires, conduiront la dépouille du petit Damianu jusque Aullène.

Je dors sous l’aile ouest, séparé de Francescu par toute la largeur de l’immense auvent de roche. Nous n’avons pas échangé un mot depuis nos retrouvailles. S’il ne veut rien dire, ce n’est pas moi qui vais provoquer ses confidences. Ça ne m’empêche pas de réfléchir. Je ne sais au juste comment je dois apprécier ses relations avec Ghiatti Vulpu et Rustusciummu, relations qui m’ont été confirmées par Lucianu, un des adultes de la bande des bergers. Je m’interroge également sur la présence épisodique d’un homme de Bonifacio. Je me demande aussi comment Francescu a bien pu savoir où se trouvait Damianu. Il est impliqué dans je ne sais trop quoi et ses comédies me restent en travers de la gorge, et pourtant il a réellement été affecté par cette catastrophe. Non ! son chagrin est sincère. Les heures passent ainsi dans la froide obscurité. Puis la crête du Pintonu commence à se dessiner en noir dans le rougeoiement de l’aube qui s’annonce. Un peu plus tard les pâtres se lèvent, vont et viennent sur le parvis naturel. Je me lève  pour assister au départ des trois jeunes hommes qui vont convoyer à Aullène la dépouille de Damianu. Je fais mes quelques mouvements habituels, j’avale un bol de soupe que m’a donnée Lucianu que je rince une fois bue et je m’asperge le visage avec ce qui reste de l’eau de ma gourde. Pendant ce temps les pâtres s’en vont à leurs affaires. En une demi heure tout cet espace auparavant si animé est vide. Il ne reste plus que Francescu et moi.
« O Spanio’ »
Je tire sur la bride de ma monture pour l’arrêter et je me tourne. Francescu vient vers moi. Il a l’air penaud.
- Je voulais te parler. Je ne dis rien pour l’encourager alors il continue
- Je te dois des explications. Je ne dis toujours rien. Il essaye de se lancer.
- Voilà… tu sais, pour cette histoire de brocciu vendu au bonifacien, c’est moi. Je le regarde sans rien marquer. Il se tient debout, l’air de plus en plus embarrassé. Puis il éclate
- Et merde… aide moi…
Je reste un instant décontenancé. Je ne sais dire que
- pourquoi ?
Je voulais dire ‘pourquoi veux tu que je t’aide ?’ mais ce n’est pas ce qu’il comprend.
- Parce que je veux partir. Il va mettre la main sur la mienne mais il finit par caresser la crinière de l’âne.
- J’ai fait une bêtise, je sais o Spanio ; une grosse bêtise. Pour me consoler je n’ai que l’idée que ce n’est pas la raison de la mort de ce pauvre Damianu.
Francescu se tait une longue minute, sa grosse  paluche triturant et lissant la crinière de Fasgjanu. Puis il  reprend. Je demande
- pourquoi ?
- Depuis tout petit je rêve de  partir… de quitter la Munacia. Je voudrais m’engager dans l’armée d’Alphonse Ornanu… en France. Ce n’est pas seulement la paye… mais je voudrais voir du pays. Alors il me faut de l’argent. C’est pour ça que je me suis compromis dans cette histoire de brocciu.
Je ne sais trop quoi dire. Le jeune homme a à peine vingt ans. Sa taille. Sa force. Son intelligence. Sa personnalité. Il ferait merveille, auprès d’Ornanu.
- Tu sais… la guerre, ce n’est pas ce qu’on croit. Je te le dis d’expérience. On crève la faim, à la guerre. C’est terrible, la guerre… le sang… les morts. Je dis ça comme ça me vient. J’ai du mal à lui représenter ce que je veux dire. Les mots ;  plus je les veux forts, plus ils marquent mon sentiment d’impuissance à faire admettre à ce jeune aventurier qu’il risque de se fourvoyer. Je lui dirais bien ‘et il y a la peur aussi’. A quelqu’un qui se sait si courageux, qu’est ce que ça peut signifier sinon un mobile supplémentaire pour partir ? je finis par dire
- et ton père… tu vas le mettre au courant ?
- bien sûr… je vais lui dire. Et disant cela il se trouve aussitôt plus à l’aise.
- J’ai autre chose à te dire. Avant de partir j’avais vu mon petit cousin. Il avait un peu peur de moi. Il savait que j’étais dans cette histoire de brocciu avec Rustusciummu et l’autre, le rouquin. Mais je lui ai fait dire que ce n’est pas cela qui l’inquiétait. Je ne sais pas comment te le dire. Rustusciummu, il veut contraindre les plus jeunes à faire des choses… des choses sales.
Il s’arrête un instant.
- Je pense que tu m’as compris. L’autre jour je leur ai donné une raclée, à tous les deux, même si je sais que ça ne règle rien, je ne pouvais pas laisser faire ça sans réagir. Mais de fil en aiguille Ghiatti Vulpu a fini par avouer et me dire où se trouvait le corps de Damianu. Mais sans me donner tous les détails… tu t’imagines.
Je reste un instant saisi. Un désir de meurtre m’envahit, un désir de meurtre et un sentiment d’impuissance. Je talonne Fasgjanu mais de sa grosse patte Francescu l’arrête.
- J’ai autre chose à te dire.
Le reste vient très vite. Le petit Damianu craignait les deux lascars pour une autre raison. Il s’était montré imprudent. Au lieu de s’adresser à un adulte il avait fait des confidences à d’autres gamins, dont le petit Vintura, son ami. Il avait vu Misgjolu, le jour du meurtre, à Aullène. Il n’avait pas voulu dire l’endroit, mais il l’avait vu. Et cela disculpe Misgjolu.
- Je le sais d’hier au soir, que Misgjolu était à Aullène, le jour de la mort de celui de Levie.
Je réfléchis. Il faut qu’au plus tôt Misgjolu monte à Aullène. Et comme je suis son témoin je dois l’accompagner. Je m’interroge aussi sur ce qui pourrait relier l’affaire de Misgjolu avec les manigances des deux coquins. Je m’en ouvre à Francescu.
- Je n’en sais rien… je n’y ai même pas pensé comme ça… il faudrait voir.
Nous avançons dans une section où le sentier est couvert de terre végétale sur quelques cinquante pas. On ne s’entend pas marcher et cette discrétion involontaire nous porte chance parce que, alors que nous arrivons aux abords de la source nous entendons des menaces, des protestations et des cris de douleur. Francescu se tourne vers moi.  Je lui fais signe d’avancer avec doucement. Le vacarme de la dispute se fait de plus en plus net. Je vais en tête. Avant de m’avancer  sur le petit plat de la fontaine je me dissimule et j’observe. Ils sont là, sur le plat du rocher. Rustusciummu tient son complice par l’oreille, la tête collée au sol, en grimaçant et frappant. L’autre se contente de gémir et de protester. Je me présente à découvert, un pistolet pointé sur le gros lard qui sursaute quand je lui intime de lever les bras au ciel. Immédiatement derrière moi se présente Francescu, avec en main mon deuxième pistolet, mèche allumée.
- O Francè… passe devant et tu les surveilles. Vous, vous allez monter gentiment derrière, lentement, et moi je passerai en dernier. Le premier qui fait un geste inconsidéré, il est mort. Ainsi organisés, nous arrivons en deux minutes sur le parvis pierreux du Canton’ d’Aricchia. Je fais mettre les deux hommes à genoux avec le rocher dans le dos et là je commence à poser des questions.  Pendant ce temps Francescu se tourne vers la paroi et crie à pleins poumons
- o Misgjo’… monte… on t’attend.
La réponse ne tarde pas. Je connais le pouvoir du rocher mais je sursaute quand même.
- J’arrive.

- Ils ont des choses à te raconter, tous les deux. Misgjolu contemple les deux prisonniers assis par terre, mains ficelées dans le dos. Plutôt que d’attendre le bon vouloir des deux gredins je lui dis ce que nous savons maintenant, Francescu et moi.
- Pour te la faire courte, voilà comment ça s’est passé. Ces deux brigands savaient que le Ghjaseppu de Levie aurait volontiers acheté ton cheval. Ils lui ont fait dire que finalement tu étais vendeur et que comme il n’était pas possible d’organiser une rencontre entre vous un jeune homme mènerait le cheval à Levie dans un endroit du choix de Ghjaseppu et qu’il ramènerait l’argent de la vente. Ils sont montés dans le Cuscionu, ils ont pris ton étalon et une jument mais en passant à Quenza ils ont croisé un marchand de Bastia. Ils lui ont vendu ton étalon et ils sont allés à Levie avec la jument qu’ils ont lachée dans ce fameux pré. Là ils se sont cachés quand le Ghjaseppu de Levie est arrivé ils l’ont tué et dépouillé de l’argent qu’il apportait pour l’étalon. Ils pensaient que personne ne pouvait témoigner pour toi… et ils ont fait de toi le principal suspect, supposant que personne ne chercherait au-delà. Tout avait l’air d’aller au mieux pour eux  quand ils ont appris, il y a trois jours,  qu’il y avait un témoin de ta présence à Aullène… le pauvre petit Damianu. Alors ils n’ont eu de cesse de mettre la main dessus… et tu sais le reste. Il est urgent que tu montes à Aullène… tu as maintenant des témoins de ton innocence… et puis ils nous ont dit où ils ont caché l’argent… c’est la preuve qu’ils ont bien monté toute l’affaire.
Quand je fais allusion à ce témoignage possible il baisse la tête. Il sait parfaitement que celui qui l’a vu n’est autre que le fils de la jeune femme à qui il s’était engagé. Et qu’il a été aperçu près du le lieu de rendez-vous avec sa belle du moment. Il regarde les deux hommes assis sur leurs talons, mains liées derrière le dos. Il reste silencieux un moment. Je le sens animé de sentiments contraires, tout près de faire une bêtise. Mais il est trop avisé. Je n’ai pas à lui dire de se calmer. Pendant un court instant Misgjolu devient un autre homme. Ses épaules tombent, il se voûte, même ses traits semblent s’effondrer et des larmes pointent à ses yeux. Il lui faut un moment pour se reprendre. Pendant que nous discutions Francescu a amassé un peu de petit bois pour griller les custiglioli du spuntinu. Pendant ces préparatifs j’ai droit à un regard de remerciement du jeune homme. Je n’ai même pas mentionné son nom. J’entends gargouiller les ventres des deux prisonniers. A leur attitude je sais qu’ils n’attendent pas de participer aux agapes.

C’est quasiment à l’heure de la soupe que nous arrivons chez Petru Santu. En peu de mots nous prenons les dispositions nécessaires. Demain Francescu montera à Levie prendre contact avec la famille de ce pauvre Ghjaseppu. Le dernier des garçons de Petru Santu à conduit Misgjolu à un abri proche de la maison et moi je veillerai sur les deux prisonniers. Tout un chacun sait ce que valent les deux hommes dans le pays mais ce n’est pas la peine d’éventer le secret. Fiers à bras et forts en gueule ne manquent pas dans la famille de Rustusciummu et personne d’entre nous ne se soucie d’une issue qui pourrait mettre la communauté villageoise d’Aullène à feu et à sang. Du fond de l’affaire, Petru Santu lui-même sait peu de choses et manifeste peu de curiosité. Il pourra toujours prétendre que les choses se sont faites sans lui et qu’il n’a pas été mis dans la confidence.  Je vais me coucher juste après la soupe de Lisabedda. La soupe était bonne ; la nuit fut mauvaise.
Je m’interroge, inutilement, sur le jeune homme. Il apporte son aide à Misgjolu… une façon de se racheter. Il est décidé à partir. Ils vont souffrir, ses deux vieux. Le reverront-ils ? c’est loin, la France. Cette pensée me ramène vers un pays de montagnes ocres parcouru par les guerriers emplumés de mon peuple d’origine, vers le souvenir de ma mère, de mes oncles, d’un gigantesque vaisseau, de padre Estéban, d’une île dont les habitants sifflent à tout bour de champ, d’une jolie maison fraîche autour de son patio, dans une ville juchée sur une colline escarpée couronnée de murailles. Mon esprit s’égare dans une vision de ciel bleu et de nuages qui passent. Puis pour finir je me dis qu’il faudrait aussi que je m’occupe de vendre ma marchandise. Alors je m’endors, et je me réveille, et je me rendors et ainsi de suite. Je me sens mal. La tête défaille, le corps renâcle, l’âme s’évapore. Vieillesse !

Nous avons rencontré les deux levianais au rendez vous prévu à Chialza. Les frères de Ghjaseppu sont deux beaux jeunes gens bruns de poils et peu loquaces. Nous marchons derrière eux,  Francescu sur sa jument, puis moi même, sur le seul mulet que j’ai gardé, parce que j’ai tout vendu avant de partir. Nos prisonniers, à pied, suivent comme ils peuvent, mains liées, attachés par le cou à la queue d’un cheval. Rustusciummu a perdu ses couleurs et le visage de son complice semble affaissé, comme s’il n’avait plus la force de porter ses traits. J’en ai vu et vu pendant mes campagnes, mais la terreur à ce point, jamais. En dernier vient Misgjolu, sur sa jument retrouvée. Pour ne pas alerter la famille de Rustusciummu nous avons contourné Aullène jusqu’au lieu dit Arghia Mayo, nous continuons vers le nord, dans un fond de vallon. Il y a là une maisonnette auprès d’un filet d’eau et un jardin dans lequel on voit un rocher rond, celui  sous lequel les deux gredins ont avoué avoir caché l’argent de leur crime. C’est un rocher un peu particulier. Il n’est pas très grand et lourd, mais tellement rond et lisse qu’il n’offre aucune prise à qui veut le faire bouger, ne serait ce que d’une ligne. Ainsi il faut être au moins deux pour dégager un trou naturel dans la roche sur laquelle il repose. Je me demande encore une fois comment il est venu jusqu’ici, ce rocher, si noir et rond alors que dans le coin la pierre est blanche et casse en droites lignes. Dans un moment aussi grave j’ai le cœur à m’étonner d’histoires de cailloux. Ce ne doit pas être le cas des deux gredins que nous avons laissés aux bons soins de Misgjolu, tous trois bien visibles sur la crête d’une petite butte rase, à quelque distance. Francescu et les deux frères de Ghjaseppu de Levie descendent de cheval et se dirigent vers le rocher rond. Les deux frères font une première tentative qui n’aboutit pas.  Alors Francescu prend la place d’un des deux frères et à force de manœuvres les deux hommes réussissent à soulever un peu le rocher, moment que le deuxième frère met à profit en calant le caillou rond avec une bûche et plongeant la main dans la cavité. Il en sort un sac en cuir qu’il lève en l’air. C’est pour appeler Misgjolu qui talonne son cheval et nous rejoint en deux minutes. L’aîné des deux frères ouvre la musette. Il y a dedans des pièces de monnaies diverses. Les comptes sont vite faits. Comme convenu les deux frères soustraient le montant du prix de l’étalon et de la jument de Misgjolu et comptent ce qui reste et sera pour la veuve. J’imagine que celui des frères qui est encore célibataire va épouser sa belle sœur, après le temps de deuil coutumier, parce qu’il met l’argent dans un gousset de son gilet. Les trois ex-ennemis échangent un baiser de paix et Misgjolu disparaît au trot allègre de son étalon qu’il a enfourché d’un saut leste, tenant sa jument au bout de sa longe. Francescu remonte à cheval et s’en va vers Rustusciummu et son complice et une fois arrivé auprès d’eux il tranche leurs liens. Les deux compères se sauvent à toutes jambes dans le maquis. C’est à ce moment que comme convenu je rends leurs armes aux deux frères. Nous ne sommes pas concernés par la suite des évènements, Francescu et moi. Nous lançons un ‘a riveraci’ et nous tournons les talons sans chercher à voir quoi que ce soit d’autre que le sentier qui nous mènera chez moi.

Personne à Aullène ne connaîtra jamais les conditions réelles dans lesquelles est mort le petit Damianu ni ce qu’il est advenu de Rustusciummu et de Ghiatti Vulpu. Cette aventure n’aura pas d’autre suite, sinon pour zi Petru Santu. Un jour je descendrai à la Munacia pour le voir, le pauvre vieux. Car s’il est une chose certaine, c’est qu’il doit être dans la peine, depuis que son fils bien aimé est parti. Il m’a confirmé son intention, Francescu de s’enrôler dans la troupe de d’Ornanu, avant de me quitter. J’ai passé une après midi avec lui, sous le tilleul que j’ai planté devant la porte de mon caseddu. Ce jour là il m’a fait sentir combien il regrettait son attitude et ses manigances avec cet homme de Bonifacio, Rustusciummu et Ghjatti Vulpu. Il avait du mal à faire bonne contenance. Je n’avais rien contre lui. Avant d’aller au lit je lui ai souhaité bonne chance. Au moment de son départ, je lui ai tendu mes deux pistolets. Il les pris, avec des larmes dans les yeux, puis il est parti vers son destin, cet homme si vivant, et à le voir disparaître dans le sentier sur le chemin de bucca di Sorba j’ai senti mes épaules se voûter et mon dos se courber. Maintenant que tout cela est terminé, que j’ai abandonné mon petit commerce, je n’ai plus qu’à attendre. Je laisse filer, en espérant que ce sera en paix, le temps. Aujourd’hui c’est un jour comme les autres, avec les ombres qui parcourent la placette où je me tiens sur un banc, au milieu de tous les autres vieux. Les gamins sont venus, ont couru, nous ont fait de la poussière. Nous les avons chassés d’importance. Ils sont partis faire une course pour l’un ou l’autre des adultes. Ils ont crié, comploté une ribote ou une farce. C’est la vie. La journée s’achevant je me lève, dis « bon appetittu à tutti » et m’en vais vers ma Ghiacumina, pour la soupe du soir et la nuit à venir.


Mais de quel pays de mariculanda aux collines ocres pouvait bien venir ce Spaniolu dont j’ai raconté l’histoire ? faisait-il partie des peuplades rencontrées outre Atlantique par Coronado et sa suite de soudards et de prêtres ?  chez nous il resterait une seule trace du passage d’un étranger d’origine ibérique. C’est dans la vallée où est installé Aullène. Il y a là une fontaine appelée ‘ a Spaniola’ à laquelle le promeneur assoiffé peut accéder, à partir de la route de Zicavo, par un sentier accidenté qui chemine parmi les chênes. Cette source délivre, à l’ombre de quelques saules, en bordure du torrent  une eau fraîche et réputée. Les buveurs invétérés de pastis eux même la recommandent pour sa légèreté. Heureuse fontaine qui peut se flatter de l’avis bienveillant des laudateurs d’une liqueur alcoolique dont la publicité est réglementée par le ministère de la Santé. A l’origine la fontaine devait être desservie par un chemin aujourd’hui disparu. Elle est dissimulée par la végétation, au dessous du virage où un nommé Luccionu avait commencé une maison qu’il ne s’est jamais donné la peine de terminer. Nous l’avons connue sous forme de ruine inachevée maintenant rasée par ordre municipal. Les vaches et les cochons y ont longtemps trouvé refuge.