mardi 23 avril 2013

I TRE PRISTATICCI




MARZU CATARZU

Dès son réveil -les yeux irrités par un afflux de gouttes de sueur infiltrées entre les  paupières- de vagues souvenirs affluèrent à son esprit ; branches d’arbres croulant sous la neige, sons assourdis sur les pentes blanches, odeurs de fumées enrichies de fragrances de charcuterie grillée, autant d’évocations de ses sens qui lui arrachèrent un soupir ; quelque part un regret, peut être même un sentiment de culpabilité. La moiteur de son corps sous son pilonu n’arrangea rien. Il s’ébroua, se redressa sur sa couche. Il ne comprit pas immédiatement la signification de la gaie rumeur qui bruissait dans la campagne mais l’inquiétude qui l’avait saisi dès son réveil se mua en irritation. Ebloui par un rayon de soleil il porta une main gercée en écran au dessus de ses yeux. Des yeux gris qui parcoururent la campagne débarrassée de sa houppelande hivernale. Des yeux éblouis de lumière qui s’agrandirent démesurément devant le spectacle de la manifestation brutale  de l’outrage. Dans un ciel d’azur des nuages légers jouaient à saute-mouton par-dessus les arêtes montagneuses. Ça pépiait dans les branchages bourgeonnants, les poules parcouraient les prés avec à leur suite des couvées piaillantes  et les chattes alanguies se roulaient dans les touffes d’armoise. Pis ! L’herbe naissante était couverte de hardes, matelas, couvertures et piloni que des ménagères impudentes avaient mis à aérer. Tout ce remue-ménage et cette profusion de vie l’indisposaient. Il fourragea de ses doigts gourds ses sourcils broussailleux pour en faire tomber trois flocons, presque fondus. Alors il voulut faire entendre qu’il n’était pas content. Il ne réussit à émettre qu’une espèce de jappement aigre qui mit en joie tant de portées de chiots qui s’éparpillèrent dans le maquis et intrigua des douzaines de porcelets, groins en l’air. Sa poitrine grondait d’une rage qu’il ne pouvait communiquer. De par-dessus les crêtes, les yeux embués de colère, il recensait, impuissant, le moindre manquement à sa majesté non encore officiellement éteinte. C’est alors qu’il aperçut quelque chose qui lui sembla l’affront ultime.



Là bas, tout en bas, dans un vallon inondé de soleil, un berger était en train de tondre ses moutons. Comme s’il était temps de tondre. Non mais ! il allait comprendre sa douleur, celui là ! il rajusta son pilonu et fit les deux pas qui le séparaient d’une maison riante dans la verdure, foisonnante de riens plaisants éparpillés de ci de là.

- Comment… tu es toujours là… je te croyais parti depuis deux semaines.
Le visiteur ravala sa bile. Il n’avait pas fini de faire rire. Mais il venait quémander une rallonge, alors ce n’était pas le moment de faire de caprice. Le propriétaire des lieux lui adressa un grand sourire.
- Mais assieds toi, nous ferons ensemble spuntinu. Et dis moi le bon vent qui t’amène… et enlève ton pilonu.
- Excuse moi. Je ne veux pas t’offenser. Je suis très pressé.
- Eehh… prends les choses en patience…
- Et comment je peux prendre les choses en patience… tu as vu… fais confiance aux gens toi et tu verras… regarde, on est le trente et un et vois ce qui se passe
- Qu’est ce qui se passe de si grave ?
- Qu’est ce qui se passe… qu’est ce qui se passe… tu ne vois rien, ma parole, tu es aveugle… on est le trente et un et il y a déjà un berger qui tond ses moutons… voilà ce qui se passe… alors je suis venu te demander de me prêter trois jours.
L’autre eut du mal à ne pas s’étouffer avec sa gorgée de vin. Il prit soudain la tête de celui qui ne se voit pas créancier. D’un autre coté il ne voulait pour rien au monde se fâcher avec un voisin aussi vindicatif. Il savait ce qui  était arrivé au voisin précédent, lequel avait laissé quelques plumes dans la querelle et épuisait sa patience avec un règlement compliqué à quatre ans pour un solde improbable. Cela incline à la prudence. Alors, après un long moment de réflexion Avril finit par dire, cherchant le regard de son compère… lequel évitait soigneusement.
- Tu as raison. Nous devons nous faire respecter.
Une expression particulière saisie sur le visage de son compère, tôt arrivée tôt disparue… avidité, malice, dissimulation ? lui donna à penser « meffi… il y a anguille sous roche »
- Alors prête moi trois jours.
Avril réfléchit intensément.
- Tu ne veux pas me les prêter, c’est ça ?
- Bien sûr que je vais te les prêter, ces trois jours, mais pas le premier du mois… les trois qui suivent.
- Pourquoi pas le premier ? qu’est ce que ça veut dire ?
- Ça veut dire que le premier fera barrière et que je n’aurais pas à disputer du tien et du mien l’an prochain à la même date. Disant cela Avril souriait, content de son astuce, et de voir le nez de son acolyte qui s’allongeait. Alors il se félicita  de  sa prudence et ainsi l’arrangement fut conclu.
Le lendemain donc Avril tint toutes les promesses des jours précédents. Tout souriait dans la nature, et le gazouillis des poissons dans les algues répondait au chant des oiseaux dans les ramures.  Quelque part, au fond d’une vallée, dans son caseddu, un berger se félicitait d’avoir pris de l’avance sur la tonte de ses moutons et escomptait tirer un bon prix de sa laine. Pendant ce temps notre héros sourcilleux se mitonnait une vengeance qui ferait date. Muni du sauf-conduit délivré par Avril il animait les moindres courants d’air, rappelait de par-dessus les crêtes d’infimes nuages vaporeux, assemblait les plus légères brumes pour tout accumuler en ouragans prometteurs de dégâts. Puis vint le surlendemain.
Ce fut ce jour là le premier jour de la colère de Mars, qui, soulevant son pilonu laissa tomber sur la nature inconséquente tout ce qu’il avait amassé comme eau, et disent encore les paysans de par ici é ci n’éra sutt’o capotu’. Il y en avait, sous la capote. Cela dura les trois jours prêtés, au grand dam des écervelées qui couraient après leur linge de maison éparpillé par la bourrasque, des oiselets qui regagnaient leurs nids à tire d’aile et d’un berger qui pleurait sur son troupeau malade. Nous arrêterons là cette triste histoire qui est à juste titre consignée dans les archives mentales des naturels du coin. Disons seulement que, pour ces trois jours  prêtés, qu’ils appellent ‘i trè pristaticci’ et les résultats du courroux de Mars les gens de ces montagnes ne font plus  crédit à Avril, si gentil mais si imprévisible mois. Et leur méfiance s’est étendue jusqu’à Mai puisqu’ils professent depuis cette affaire ‘Per magghiu e per magghionu un caccia u to  pilonu’ ainsi ne vous étonnez pas de croiser pendant tout le long mois de Mai, en montagne, tant de bergers soigneusement enveloppés dans leur pilonu.

Cette histoire je la dois à mon oncle Pierre –Petru Santu- dont j’avais surpris un jour le goût pour les fables paysannes. Il me l’a racontée debout sur le chemin, alors que nous descendions en devisant vers le studio qu’il s’était fait construire, sur le lieu de la cantine où il a passé tant de journées à surveiller son vin. 

dimanche 21 avril 2013

Traces...

Quelques photos pour présenter mes deux villages, Aullène en Alta Rocca et Munacia, au  pied de la montagne de Cagna. Je joins une photo de couverture d'un opuscule édité par l'Associu di i monaci qui a livré un travail de recensement remarquable. Bien sûr la lecture est recommandée et j'espère que cela initiera un moment d'échanges. 


Ci dessous,  Aullène, tomba di Cuntessa ; curieux monument à dôme... construit à appareil. Nul ne peut dire de quand il date, ni par qui il fut construit.
 La grotte murée du lieu dit Grussetu, à Monacia. Même incapacité à dater et attribuer. On y a trouvé du mobilier préhistorique... petit outillage et armatures en obsidienne et silex.
 La maison "a l'armi di Chiaroni" dans le vieux quartier de l'Arghjola, à Aullène.
n

jeudi 18 avril 2013

Dall'mio palazzu cupertu per li frondi, sul'la Tascjana nienti si n'asconda...


Sur l’herbe verte, le sang, ton sang,
Rouge ;
Rouge comme la roche
Qui témoigne, au bord de la mer.
Dans l’air bruissant la plainte,
Rauque,
Rauque comme celle du vent,
Du vent fou qui blanchit les flots d’écume
Les jours de tempête.
La mousquetade, proscrit,
De ta malevie fit mâlemort
Et les rochers pleurent en écho.
Les rochers, mémoires de pierre
Où note et parole s’inscrivent,
Notes et paroles de pierre
Pour faire front à l’oubli injurieux.
Par traîtrise et forfaiture
En ces lieux s’acheva ta balade,
Accomplie nuits et jours
Par les sentiers, de Tascjana en Testa.
En ces lieux naquit  la ballade,
Sur les traces de tes pas, de tes douleurs,
Echo fidèle
A jamais résonnant sur les parois rêches de nos montagnes
Et dans nos mémoires de rêveurs d’épopées,
Ton épopée,
Ghjuan’Cammeddu Nicolaï.

Jean Baptiste Lucchini