vendredi 15 juillet 2016

Je dis...

Je dis
Je suis !
Sous la bonne étoile aux cotés de mes frères
J’ai enduré la douleur dans la maison des jeunes gens,
Aiguilles en os sous ma peau, attaché au mât des révélations.
Ohé !
Sans ciller, frère parmi les frères
J’ai parcouru les espaces immenses
L’arc à la main le hachereau de silex à la ceinture.
Au soir flamboyant d’un jour lumineux
Sur la pierre je me suis assis et j’ai avisé le monde
Des jours et des jours, sans faim.
Dans un brouillard bleuté la vision m’est venue.
Mon Être Guide !
Ohé !
Il m’a apporté mon nom,
Pacte avec le Grand Esprit scellé au sein de la Ronde des Esprits, ciment de mon peuple,
Les Êtres Humains.
Là, tout me parle, tout me regarde.
Ma destinée.
Lui et moi seuls !
Mon nom, le Grand Esprit  le reconnaîtra au jour de mon passage
Pour le territoire chatoyant des chasses éternelles.
Mais il n’est pas temps.
Aujourd’hui sur les traces de mes pères je marche à la suite de l’aurochs,
Au passage des grands troupeaux
Revêtu de la peau du loup  
Je me glisse sous l’aurochs.
De ma javeline je perce la panse de l’aurochs.
De sa chair je garnis le garde-manger de la grande maison où siègent les mères.
Je dis
Je suis !
Tant de trophées sur ma couronne de plumes
Dépouilles de l’ennemi.
Ohé !
Aujourd’hui je suis le fier parmi mes frères guerriers.
Je suis le fier parmi les femmes.
Toutes me veulent.
Toutes se disputent ma couche.
Elles se disputent mes attentions ferventes, les nubiles.
‘Désordre’
Les vieilles crient, les délaissées protestent.
Désordre par moi,
Désordre sur mes pas,
Désordre en moi.
Crient ‘désordre’ les vieilles femmes.
Elles salissent de terre mon écuelle
Garnissent de chardons mes vêtements et d’excréments ma peau d’ours à tant de promises accueillante.
Désespoir de mes frères jaloux, mes ruts !
Dépit des délaissées, mes ruts !
C’est la rumeur.
Rumeur qui éteint les regards sur mon passage,
Qui frémit autour des âtres,
Parcourt les travées.
Elle rampe le long des perches, palpite sous la couverture de peaux, hante jusqu’au faîte la grande maison, la rumeur.
Ça m’est inconfort et ça m’est gloire quand, faussement invisible, je déambule dans le campement.
 ‘Désordre’.
Jets d’os sur les jeunes nubiles qui quêtent mes attentions, me veulent
Et sur moi quolibets invectives et cailloux.
J'ai les oreilles qui résonnent de criailleries.
Mes épaules sont meurtries par les bousculades et mon écuelle vide.
Maintenant, terrorisées, leurs yeux pleins de regrets
Les bienaimées désertent ma couche
Et les autres me rendent la vie impossible.
Mes oreilles sont pleines de rumeurs
Ohé !
Mon coeur rit de ces simagrées
Demain je prendrai mes armes,
Demain, au terme de cette nuit, solitaire, je roulerai ma peau d’ours
Sous les regards désolés des jeunes femmes de la grande maison.
Demain je chercherai une autre grande maison
Loin de ces femmes je ferai pénitence… ou bien…
Avec mon arc et mes flèches, mon hachereau de silex
Je fraierai en solitude les plaines en quête d’horizons nouveaux.
La nuit, solitaire, roulé dans ma peau d’ours je plaiderai la sagesse…
La sagesse !
La sagesse ?
Et quoi ?
De mon âge, de ma force, de ma destinée
Ce brouet des reliefs du repas de la vie ?
Ce triste plat du morose banquet où la vieillesse égrène sa cantilène rance ?
Demain je verrai de quoi sera fait mon avenir. Altier !
Je dis… je serais !
Ainsi !



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